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La série de l'été : Comment rallier les États-Unis sans prendre l’avion ? EPISODE 2 par Nono (fka Gigsta)

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En 2021, l’artiste DJ et militante environnementale Nono (fka Gigsta) est prise en résidence à Détroit et entreprend de chercher à rejoindre les États-Unis en bateau, ayant renoncé à prendre l’avion depuis quelques années pour des raisons écologiques.
Quelques mois plus tard, après un projet de résidence itinérante en train de la Normandie au Japon avorté pour cause de crise sanitaire puis de guerre en Ukraine, Gwendolenn Sharp, fondatrice de The Green Room, postule à la Villa Albertine avec le projet de traverser l’Atlantique en cargo.
En avril 2022, elles se rencontrent à l’occasion d’un événement sur les tournées écoresponsables sur lequel elles interviennent, et décident de partager leurs recherches et expériences, et de mutualiser leurs forces pour réussir à trouver une alternative à l’avion.

Sous la forme d’une série de l’été, Noëmie et Gwendolenn vous partagent les différents épisodes de leurs recherches et explorations, mais aussi les ressources et différentes pistes qui pourront, nous l’espérons, servir à d’autres dans un avenir pas trop lointain.

Voici le 2ème épisode, par Nono (fka Gigsta) (et si vous avez raté le 1er épisode, rattrapage par ici)

Je repris donc ma recherche active de solutions durables, parcourant des forums, multipliant les envois d’e-mails et les appels téléphoniques. Cela m’a valu de recevoir quelques factures téléphoniques un peu salées ; sur cette période, je n’ai pas eu une seule conversation de vive voix au cours de laquelle je ne mentionnais pas ce projet. Tout le monde connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui avait, un jour, fait un voyage en cargo. Mais ces mêmes personnes étaient aussi impuissantes que moi face au refus récent des compagnies de fret de prendre quelqu’un à bord. Je commençais alors à envisager de nouvelles alternatives.

Il existe un ferry qui connecte le Danemark à l’Islande. Mais un fois arrivé·e en Islande, la situation reste la même : il faut prendre un avion ou un cargo (qui ne prennent pas, eux non plus, de passager·es) … ou un voilier.

Le voilier ! C’était la prochaine piste à explorer. Il existe l’option de luxe, que propose notamment Langsamreisen. On peut, par exemple, rejoindre les Amériques en partant de Malaga en Espagne pour aller à St Martin ou envisager le trajet de Gibraltar jusqu’en République dominicaine. Mais, là encore, se retrouve bloqué·e aux Antilles, d’où il est difficile de ne pas prendre un avion. Ensuite, il y a une contrainte temporelle : certaines saisons sont plus propices à la traversée en voilier que d’autres. Pour traverser vers l’Ouest, par exemple, il faut partir autour de l’hiver, ce qui réduit largement les possibilités. Et, bien sûr, il y a le prix : l’option qu’offre Langsamreisen, par exemple, démarre à 8000 euros pour un aller. Non seulement les 1000 euros de bourse que l’on m’avait accordés pour un aller-retour sont loin de couvrir ce tarif mais, à long terme, cette solution ne me semble pas durable si elle n’est pas abordable et équitable.

Reste alors la traversée en voilier amateur. Elle est soumise aux mêmes conditions climatiques et donc de saisonnalité, alors que la résidence ne peut m’accueillir qu’au printemps et que le visa états-unien limite mon séjour à trois mois. Mais même si l’institution culturelle qui gère ma résidence acceptait d’adapter les dates d’accueil, il resterait des complications d’ordre pratique puisque cette traversée prend énormément de temps (au minimum 3 semaine). Il n’est pas garanti, non plus, que le voilier amateur puisse me déposer à un port qui soit connecté à Détroit par voie maritime ou terrestre. Et puis, la majorité des bateaux qui prennent des passager·es à bord requièrent une expérience de la navigation à voile… Expérience que je n’ai pas. Sur Bourses-aux-équipiers, j’avais trouvé une annonce pour un trajet partant de France pour aller aux Etats-Unis, avec une formation au préalable. Cette formation était payante, et des coûts supplémentaires ne cessaient de s’ajouter au fil du temps. Je finis par réaliser que cette offre était une escroquerie, ce que Bourse-aux-équipiers confirma par la suite.

Le stop s’étend également au cargo ! Il existe des récits, rares mais fascinants, de personnes qui sont arrivées à un port et ont insisté auprès des compagnies jusqu’à ce qu’un·e capitaine les accepte à bord. Toutefois, il faut, là aussi, avoir du temps devant soi. Mais surtout, il n’est pas garanti que le cargo qui finira par accepter de la compagnie aille dans la direction souhaitée. Des passager·es se sont par exemple retrouvé·es en Turquie, en étant parti·es d’Europe. Cela ne me rapprocherait pas vraiment de Detroit…

Je continuais d’approfondir mes recherches autour des voyages en cargos. Les informations sur de nombreux navires sont disponibles en ligne : leur position, leur trajet, leur propriétaire, le drapeau sous lequel ils naviguent et la compagnie qui les possèdent. Je commençais à comprendre que le fret maritime est non seulement un objet d’exploration immense et très complexe et que les informations à ce sujet sont parfois contradictoires. J’essayais de convaincre des propriétaires de me prendre à bord avant de comprendre que c’est toujours la compagnie qui prend la décision finale. Je découvrais par ailleurs de nouvelles compagnies susceptibles de transporter des voyageur·ses, tels qu’Hapag Lloyd et ZIM. Après d’innombrables rebondissements, je parvins à les contacter : Hapag Lloyd ne prenait plus de passager·es depuis dix ans et ZIM n’aurait tout simplement jamais offert ce service.

Il ne me restait plus qu’à espérer que les compagnies qui l’avaient fait par le passé (CMA-CGM, ACL, ICL, PZM, NSB, etc.) prendraient à nouveau des passager·es en 2023, comme certaines agences l’avaient laissé entendre. Mais à mesure que la date butoir approchait, leurs retours devenaient de moins en moins optimistes. Une agence m’écrivit par e-mail que « malheureusement, la vie et le monde tels que nous les connaissions ne sont plus ... » Mon interlocuteur poursuivit en détaillant les difficultés pratiques liées à la pandémie de COVID : alors que les variants se répandaient et que les règles fluctuaient d’un pays à l’autre, les compagnies ne souhaitaient plus prendre de passager·es de peur que ceux et celles-ci ne puissent pas débarquer ou embarquer. Et de conclure : « Bien que les croisières aient repris, les compagnies de cargo ne sont pas très partantes. Je pense qu’elles ne sont plus intéressées. »

Un passager ayant pu faire la traversée Atlantique en porte-conteneur avant la pandémie de COVID me confia lors d’un échange : « CMA-CGM n'a jamais été très enthousiaste à l'idée que nous nous joignions à eux, et d’après les rumeurs, ils ne le faisaient que parce qu'ils étaient mandatés par le gouvernement français. Quoi qu'il en soit, je pense qu'ils ont peut-être profité des effets de la pandémie pour rendre leurs politiques d’accueil de passagers plus strictes... ». Il se peut également que ces compagnies communiquent entre elles et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles elles semblaient si intransigeantes en ce qui concerne leur impossibilité de prendre des passager·es. D’autres sources étayaient le fait que les compagnies, les capitaines et les membres d’équipage n’appréciaient pas particulièrement la présence de civil·es à bord.

Je refis le tour de toutes les agences qui, à mesure que l’on entrait dans la nouvelle année, se montraient toutes aussi sceptiques les unes que les autres. Elles ne pourraient probablement pas offrir les voyages que les compagnies avaient promis. À la CMA-CGM, que j’appelais un nombre incalculable de fois pour essayer de les convaincre, on me renvoyait sans cesse à un autre numéro, à un autre service, à un·e autre interlocuteur·rice, …y compris à une personne en charge de la documentation ou des archives de la Compagnie. Celle-ci me lut mot pour mot au téléphone le texte affiché sur leur site internet que j’avais déjà parcouru mille fois.

D’autres options semblaient se dessiner, telle l’association A.J.D. « Amis de Jeudi Dimanche » du fameux Père Jaouen, mais aucun des bateaux de la flotte n’avait prochainement prévu une traversée transatlantique. Et puis, il y a l’entreprise havraise TOWT qui cherche à décarboner le transport à la voile… mais qui ne devrait prendre des passager·es que d’ici le printemps 2024.

Au cours d’un énième appel au secours, on me proposa une traversée à bord du Saint Helena, un cargo déplaçant des voitures de course … électriques ! Je contactais une tierce pour personne estimer l’impact de ce voyage. D’après ses calculs détaillés, les émissions de CO2 par personne pour une telle traversée restaient largement en dessous de celles associées à un trajet par avion. « Surtout si l’on tient compte des impacts à haute altitude de l'aviation ET du fait que le navire cargo Saint Helena est investi d’une bonne mission - dépenser ton argent dans des projets à long terme de construction de navires électriques, je pense que c'est un plus. »

Hourra ! J’écrivis à la résidence pour annoncer la bonne nouvelle : j’avais enfin trouvé une solution !! Il me faudrait certes décaler encore la résidence de quelques petits mois mais je pourrais être à Détroit d’ici la fin de l’été 2023. Hélas, le couperet tomba : « Nous respectons ton engagement en faveur du slow gigging (des tournées plus lentes), mais il faut que tu comprennes que ces décisions et ces changements affectent l'ensemble du projet et de nombreuses personnes, tel que ton partenaire artistique, l'organisation qui t’invite et nous-mêmes. Nous ne pouvons pas nous étendre sans limites. »

Je remboursai alors les 1000 euros qu’on m’avait accordés pour le trajet et qui auraient pourtant été les bienvenus pour financer le temps et les efforts consacrés à cette recherche. Je ne crois pas qu’un engagement individuel soit suffisant pour enclencher une transition collective. Mais dans mon cas, il m’a plus que jamais motivée à faire campagne au sujet des mobilités plus respectueuses et durables. J’espère, enfin, que ce récit permettra de mettre en lumière quelques-unes des nombreuses difficultés rencontrées par les artistes engagé·es dans une démarche environnementale.

[… La suite au prochain épisode dans 15 jours]

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